Diététicienne de formation, j'ai eu une carrière atypique allant de la charge d'un restaurant à Los Angeles aux départements marketing de sociétés informatiques, je suis maintenant traductrice indépendante, très indépendante ! Ce qui me permet de m'adonner plus régulièrement à ma passion de toujours, l'écriture.

samedi 6 février 2010

Platitude d'un samedi ordinaire...

Des aires avides

Mon esprit est vide. Vide de toute pensée, vide de tout. Comment c’est un cerveau vide ? Je m’imagine marchant sur les dunes laiteuses de mes circonvolutions crâniennes. Pas une onde, pas un souffle. Quand je ne pense pas, mon esprit est un désert et je traverse d’est en ouest, d’ouest en est, du nord au sud et du sud au nord mon esprit vide à la recherche d’une idée même larvaire ; c’est ma longue traversée du désert.

J’erre sans but entre le déséquilibre et la désespérance, et je tombe, désescalade non contrôlée, dans le désert aride de mon cerveau déserté par toute pensée, désertique de toute sensation. Pas un muscle de mon corps ne bouge, pas même mon cœur ou mes paupières, tout mouvement mécanique et inconscient a fui mon organisme désert. Je suis vide et mou. Je tourbillonne dans des abîmes d’absence mentale pesante et ennuyante. Un froid glacial fuse au ras des mamelons opalins et asséchés. Mon horloge interne régulant ma vie toute entière s’est mise à température zéro. Un désert blanc et glacé aux saillies stériles, l’instinct même a disparu, pas de sensations, aucune pulsion ou réflexe. Le panorama dévasté, absolument nu, si ce n’est ces quelques crêtes infécondes, l’espace désolé de mon cerveau archaïque me rend imperméable à toute logique. L’instinct de survie propre au plus petit des reptiliens ne m’habite même plus.

Je rêve de sirocco, une bonne grosse tempête neuronale qui ferait place neuve, nouveaux reliefs, nouvelles images de mon espace, nouvelles valeurs, le laid ferait beau, le faux serait juste et le mal irait bien. Mais non, pas le moindre souffle d’inspiration ne vient déranger le calme plat de mon encéphale, lit vide. Les replis restent immobiles, flasques, comme de minuscules oueds en attente du courant salvateur. Je me penche au risque de tomber tête la première sur les lits secs et froids en attente d’une petite pluie céphalo-salutaire, un crachin bienfaisant-rachidien. Devant moi, à perte de vue, une étendue blafarde de sebka plate, pas un parnasse poétique, pas un pic d’arithmétique. Je marche encore et encore, à la recherche de mon esprit perdu, je marche sans jamais m’arrêter sur la surface lisse de mon cerveau limbique à la recherche d’une touffe, d’une pierre, d’une émotion, un quelconque souvenir. Je cherche une trace de mon vécu, une toute petite parcelle de mon passé disparu. Les yeux fixés sur le sol immaculé, je traque l’empreinte d’une histoire, l’ancrage de quelques racines, d’une quelconque croyance. Je marche en bordure de mon cortex, enveloppé d’un nimbe nacré au bord d’un limbe infernal, je regimbe. Mais rien juste le néant d’un plongeon cortical au fond de mon vide cervical.

Longtemps, j'ai assimilé le désert à l'immensité plane, aux deux couleurs du sable stérile et du bleu blanc d’un ciel trop chaud. Maintenant, je sais que le désert, c'est surtout le silence, un silence pesant et rempli, oppressant, un silence lourd. Rien n’y est vraiment plat, tout est de rondeurs, sphérique, brûlant et vide. Jusqu’à en perdre la vue. Et là devant moi, j’aperçois le paysage onduleux de mon cerveau blanc crayeux aux doux sommets que rien ne trouble et je me sens seul, si seul dans mon esprit vide. Je divague, m’égare dans cette vastitude morose et argentée. L’ennui me gagne au milieu de cette incapacité d’abstraction, je cherche à associer des idées, encore faudrait-il en voir le bout d’une afin de pouvoir les associer ! Que la conscience me gagne ! Qu’elle me dévore, me happe, m’intercepte ! Où donc est passé mon cerveau de Descartes dans ce Sahara inhabité et froid ?

J’erre sans but, en déséquilibre hasardeux sur le fil ténu de mon sillon inter hémisphérique, les bras bien tendus sur les cotés de mon corps, je vois leurs ombres qui s’étalent sur les calottes lactescentes. Je trébuche, je titube, dois rester bien droit sur le sillon, un pied devant l’autre, remettre l’autre devant l’un, se tenir bien au milieu pour provoquer la stimulation. La provoquer à droite sans concentration, tant pis, plusieurs choses en même temps d’accord, aller à l’essentiel, au global, une vision intuitive, c’est toujours ça. Ou même à gauche, une seconde après l’autre, un mot après l’autre, une seule chose à la fois, là où donc implique cela, peu importe. L’important est de titiller l’émotionnel, aiguillonner la perception, talonner la raison. Réveiller l’infime excitation qui fera de ces ondulations exsangues et désertiques un havre de conception philosophique, un paradis d’analyses algorithmiques. Mais non rien ne se profile sur l’horizon blafard aux sphéricités dépeuplées. Pas une douleur, pas une émotion ne vient troubler ce désert gris blanc. Le désert de mon esprit est désespérant, navrant… Un système si peu sympathique !

Je m’assois au pied d’un dôme graisseux et j’attends sans impatience quelque fulgurante pensée qui viendrait tel un mirage bousculer cet océan immobile et moutonneux, ce dédale improductif. Un tumulte quelconque. Un souffle même léger pour raviver la flamme olympique de la conception. Une goutte de génie qui viendrait semer et regarderait fleurir la fleur du savoir. J’attends le raisonnement profond qui planterait un oasis d’intelligence au beau milieu du désert vide de mon esprit ouvert à toutes propositions, prêt à toutes promesses, j’imagine des palmiers aux ramures géométriques et rationnelles, de longues feuilles dentelées de mots, constellées de verbes aux propositions élégamment indépendantes, artistiquement coordonnées, brillamment relatives. Un oasis aux courbes proportionnelles, belle flaque métaphysique miroitante d’aphorismes, de statistiques et de probabilités, d’équations et d’inconnues, quelques nuages de points, des massifs drus de théories philosophiques, des jardins verveux.

Toujours assis, avachi, amorphe, épuisé par ce néant astral, je songe à ce labyrinthe de dunes insupportablement incultes que j’ai traversées durant ce temps immesurable, lacis lascif aux méandres douteux et improbables, irréfléchis et vagues. C’est comme une chute inerte dans un barathre cruel. Je voudrais jeter une sonde dans cette ombre apathique et partir à la découverte de cet abîme éteint, y trouver un suc sensoriellement riche, éminemment intelligent. Je laisse derrière moi la butte visqueuse de mes cellules si peu nerveuses, me relève et me dirige sans espoir vers un point imprécis au loin, serait-ce une idée ? Un jaillissement humide ? Quelque geyser imbibé de conscience retrouvée ? J’ai repris le cheminement pesant de ma promenade dans ce désert bréhaigne, avide que je suis de l’enfantement même incomplet du plus léger influx.

Et je flâne toujours seul dans ce paysage lunaire, ce paysage improbable et vacant, je déambule, désœuvré, en pleine désespérance, en pleine déconfiture cérébrale. Mes pas sans but me mènent tout droit au cervelet, je tourne et retourne, désorienté. Pas le petit volt de flux ! Pas le moindre reflux ! L’engourdissement me gagne. L’absence de conscience de mes propres sentiments me harcèle et m’effraie. Alors je m’accompagne seul dans mon monde intérieur, un monde désertique et aussi stérile qu’une steppe aride. Il n’y a pas de mots sur d’invisibles d’images, pas de maux sur d’imperceptibles douleurs. Si ma réalité est faite de langage, je réalise l’irréalité tangible de mon vide cérébral. Si ma pensée peuple mon monde, je réalise l’immatérialité frappante de mon esprit dévasté. Si l’émotion est le moteur de mes actions, je réalise le mirage statique de ma solitude mentale.

Je me bouscule, je m’invective, « Méninge-toi donc un peu que diable ! Secoue ta mémoire ! Panse tes failles torrentueuses ! Fais sortir de tes replis sinueux une toute petite idée, une lueur d’hypothèse, un bout de pensée ! ». Mais rien ne se passe, je prêche dans un désert inexpugnable…désespérément dépeuplé.

Je grimpe doucement sur un des grands bancs de substance grise de mon désert à moi, une sorte de hamada sillonnée de canaux d’érosion, érodés d’avoir trop pensé sans doute, avant d’être asséchés de toute activité réflective. Avant que mon cerveau ne se transforme en thébaïde désolée. Avant le grand désert, la toute grande béance. Je me souviens avec nostalgie de ces merveilleux paysages luxuriants, îles de végétations spontanées au milieu du désert de l’ignorance. Ilot de connaissance pure, de spiritualité candide, pourchassant l’ilotisme sablonneux au loin, très loin vers mes ergs calleux. Je me souviens avec exaltation de ma pensée vue par un trou comme dans les dioramas de foire, des spirales gracieuses d’opinions futiles, l’intensité stellaire des émotions amoureuses, l’électricité statique des réflexes vitaux, parfois quelques surméninges de bon aloi, de beaux filets savamment tissés de postulats plantureux. C’était un merveilleux kaléidoscope de raisonnements résonnés, de supputations dubitatives, de paroles sensées, d’axiomes démontrés, de conjectures a-priori, le tout délicieusement parsemé d’apophtegmes flegmatiques. Quelle blandice !

Le ciel de ma boîte crânienne est lisse et triste. Un ciel sans astre, tristement traversé de stries inégales, telle une toile tendue fine et arachnoïde. Mon désert cérébral est bien enfermé, hermétiquement clos, personne ne pourrait y entrer pas même l’algèbre explicite du π amer. C’est pourquoi j’erre seul, tel le Petit Prince sur sa planète ronde et blanche. Et si comme lui je ramonais soigneusement mes volcans ? Remuer mes méninges, les secouer pour en extraire une moelle substantifique, un jus intelligent, ramollir la dure-mère et provoquer des bouillonnements effervescents de cogitations électrisées, de méditations survoltées. Pénétrer en profondeur les cratères désertés, ébranler mes motoneurones pour les voir fusionner, dégouliner en une lave brûlante d’érudition. Fragile vous dites ? Et bien tant pis si j’y fais un trou, j’y mettrai un pensement !