Diététicienne de formation, j'ai eu une carrière atypique allant de la charge d'un restaurant à Los Angeles aux départements marketing de sociétés informatiques, je suis maintenant traductrice indépendante, très indépendante ! Ce qui me permet de m'adonner plus régulièrement à ma passion de toujours, l'écriture.

samedi 30 janvier 2010

Humeur fantastique pour le weekend...

Le Horla

Ce matin, le lait avait disparu de mon thé…

Je m’appelle Aliénor Labbé. Je suis une vieille dame respectable, sans histoire, honnête et charitable. Je vivais il y a encore de cela une semaine avec ma sœur Hortense Labbé dans cette même maison qui nous a vu naitre, au bord de la rivière.

Depuis quelques jours, j’avais compris qu’importait la narration des dernières semaines. Or la chose arriva, ce matin, le lait avait disparu de mon thé. Alors la sage écolière que je fus a repris du service et coriace, me voilà, peinant sur un cahier à petites lignes racontant ces dernières semaines.

Je pense à ma sœur Hortense, la folle qu’ils disaient les sorciers du village, pas si folle, passiflore, la guêpe !

Elle dit que Belphégor la dévore, la mord, la tord, l’amuse aussi. Pourtant Hortense la maudite est morte, la semaine passée. Était-elle si maudite ?

Tout avait débuté il y a cinq ou six semaines maintenant. Nous menions avant, Hortense et moi, la vie calme et paisible des vieilles dames, quelques promenades aux premiers rayons de soleil, du tricot pendant les jours de pluie, les quelques courses nécessaires à l’épicerie du hameau. Nos longues discussions sur le passé lointain et heureux, notre jardin et ses fleurs, nos fleurs, magnifiques, elles faisaient notre fierté. Une tonnelle de Pierre de Ronsard, les lobelias couleur sang et les hémérocalles, belles-d’un-jour de feu. Jusqu’à ce matin d’été, où à notre lever, à 8h exactement, nous avons trouvé, horrifiées, la véranda ouverte sur le jardin et un grand vase que nous ne connaissions pas sur le guéridon du salon, dans le vase toutes les branches fleuries de notre laurier rose, la stupéfaction ! Que dis-je stupeur ! Dehors, lavande, hortensia et lilas arrachés. Un corbeau clamait sur l’orme, une clarine invisible tintait sans répit. Oracle frelaté, sortilège déclaré ?

Elle a dit Hortense, sentir l’amorce d’une flamme maléfique. Lors même, personne ne l’a crue. Pas même moi, sa propre sœur. Et pourtant, ce matin, le lait avait disparu de mon thé.

Notre vie s’est corrompue ce jour-là. L’horreur a remplacé notre calme au quotidien. Le jardin est devenu d’abord la porte d’entrée calamiteuse de cette chose, le portail élastique du bordel hilare et l’oriel, la scène de ses forfaits et larcins. Chaque nuit fut une épreuve, dormir devint un labyrinthe hideux, où trop forte, l’apparition forçait la fornication, l’ajout infernal du cor de l’hallali déformé, l’âpre morceau l’accompagne. Le monstre lubrique et morbide obligeait à de salaces orgies, flagellations conformes à la dépravation sans moratoire la plus perverse. Nous buvions, vaincues et bornées, sur l’athanor la plus odieuse des potions dans l’amphore labélisée immoralité lascive. Mi-goret, l’alchimiste arborait l’asticot rose et dodu raide. Morpion, blatte ou scorpion, j’étais l’agneau. Le porcin palabre, sur sa gauche il déporte la sœur morose, l’accule dès lors, la bascule, l’élabore, l’agresse. Mortifiée par l’anamorphose de l’accouplement, débraillée du corsage, l’araignée de l’orgasme l’accapare. Elle adore la haine, horripile l’absurde mordacité sur l’accoudoir du canapé.

Nos nuits étaient suivies d’immanquables oraisons, de l’affliction sans limite d’Hortense et moi. La religion ne nous fut pourtant pas d’un grand secours, notre bon curé Nestor Lachaux, à qui nous avions raconté les faits, d’exorcisme nous parla, doutant il faut bien le dire de notre raison. Il exigea notre repentir pour les péchés nocturnes, notre confession quasi quotidienne. Il faut bien admettre qu’à l’horizon de celle-là, il lorgnait, l’avide, l’onanisme offert. Penaudes nous revînmes, mornes à la maison. Entre nous, nous n’osions en parler, pas chez nous en tout cas, de peur de réveiller… de réveiller quoi d’ailleurs, cette présence maléfique, inqualifiable. Pas de formule lapidaire pour décrire l’effroi.

Comme cette fois où tout mon corps l’a flairé, senti, ressenti, je me promenais parmi l’hellébore et le glaïeul, bordeaux et écarlate, lorsque j’ai vu la tige fraîchement cassée et, anormale, la fleur se balancer moqueusement dans les airs. Hortense la maudite est morte la semaine passée, l’horreur la crucifiait, l’immoralité la clouait, mortuaire, la corde l’a pendue. Dans le grenier. Suicide qu’ils ont dit, et monsieur le curé a dit nous avoir prévenues, il n’a pas voulu l’enterrer dignement, a réclamé plus de confessions, plus de contrition, plus d’absolution. Mais moi je sais que l’Hortense ne l’a pas fait. Je le sais du haut de son mirador il l’a tuée, sans pitié, ricanant, buvant notre lait. Comment trancher le nœud gordien ? Lapider le surnaturel ?

Morbleu ! L’adieu de ma sœur fut tel un couperet, une guillotine qui me laissa moribonde, me fit l’anachorète laconique de ce fantôme zoomorphe et glabre.

Un soir, nous avions laissé, en porcelaine sur la table mortadelle et lapin moutarde, un verre d’eau aussi. Le matin, seul ce dernier était vide. Le lendemain soir, morilles à la crème et un verre de lait. Le matin, seul ce dernier était vide. L’esprit du malin se nourrit d’eau et de lait. Et ce matin, le lait avait disparu de mon thé.

Le forcené flâne, le regard torve il prépare le glas. Il se morfond de l’anorgasmie, la conspue. Mordorée la lumière tombe, le jour s’en va. Normalement, la nuit avance, lentement, je serai le hors d’œuvre, la victime déflorée, à l’affût, il l’est, je le sens, je le sais. J’ai morgue dans la gorge, l’exhalation du borgne, la flatulence. Le porc m’épie par la lorgnette, la tasse de lait, crâneuse, victorieuse sur la table, je veux forlancer la bête, honorablement la débusquer et puis son organe élaguer…

Peut-être que personne ne me croira, sans doute, même, pourtant ce matin, le lait avait disparu de mon thé…

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