Diététicienne de formation, j'ai eu une carrière atypique allant de la charge d'un restaurant à Los Angeles aux départements marketing de sociétés informatiques, je suis maintenant traductrice indépendante, très indépendante ! Ce qui me permet de m'adonner plus régulièrement à ma passion de toujours, l'écriture.

mardi 26 janvier 2010

Billet de mon humeur...
Mélusine


Une petite fille hideuse, la tête en pain de sucre, le cheveu filasse, rare, les yeux globuleux, le visage barré d’épaisses lunettes d’écailles brunes. Sa bouche est grande, trop grande pour le visage, sa bouche s’ouvre et se ferme sans arrêt, comme celle d’un poisson à cours d’air sur le rivage, un air horrifié, un peu perdu. Assise sur un petit tabouret de bois, ses bras forment, un angle droit, les avant-bras sont couverts de laine argentée. À coté, un fauteuil haut de cuir râpé, un grand-père, beau, une peau ridée avec élégance, charmance, des cheveux auréole angélique, mousse laiteuse que l’on devine douce à caresser. De longues mains aux doigts osseux, sa peau est blanche, aux veinules rubis et saphir. Des yeux bleus, une eau limpide délavée par les ans. Ses longs doigts gracieux, graciles enroulent patiemment et avec dextérité la laine argentée. Une belle pelote bien ronde, régulière, éclatante brille comme une étoile filante au creux de sa main.


Un tête-à-tête étrange au coin d’un feu improbable, un feu violet ou rose, océan de bruyères, vert ou bleu, vagues tumultueuses et profondes, orange ou rouge, massifs de coraux aux algues dansantes. La bouche de la petite fille laide s’ouvre et se ferme, toujours. Parfois un son sort, une question fuse.


- Dis grand-père, est-ce que les feux d’artifice dérangent Dieu ?

- Non Mélusine, à cette heure-là, il regarde la télé, il y a les infos sur la 3, alors…

- Et est-ce qu’ils abîment le ciel ?

- Ils font des trous dans les nuages et donc les éparpillent, demain, tu verras, il fera beau…
La pelote continue de grossir, joliment, sans que les fils sur les avant bras de la petite fille ne paraissent diminuer. De temps en temps, le grand-père ramène ses cheveux vaporeux en arrière, d’un geste plaisant que l’on devine machinal. La bouche de la petite fille laide s’ouvre et se ferme, toujours. Parfois un son sort, une question fuse.

- Est-ce que les escargots gardent leur coquille pour aller faire pipi ?

- Non, il y a un porte-coquille derrière la porte, comme dans les WC des gares.

- C’est quoi des WC, grand-père ?

- Cela veut dire Walter Closet, c’est l’homme qui inventé les ouatères, au XVIIème siècle… un lieu d’aisance régulièrement lavé par l’ancêtre de la chasse d’eau…

- Alors comment on faisait avant, grand-père ?

- Et ben avant, on faisait pas, Mélusine… L’humanité toute entière s’est retenue d’uriner et de déféquer, jusque la date fatidique de l’invention de Monsieur Closet. Quel grand homme ! Soulageur des postérieurs, du plus humble au mieux nanti…

- Et les escargots, grand-père, ils faisaient pas non plus ?

Le feu crépite dans la cheminée, quelques filets de fumée bleutée traversent une planche, comme des petits fantômes traverseraient une cloison. Les braises rosissent, violassent, bleuissent, verdoient, rougeoient, réchauffent.

- Non ils se retenaient aussi et du coup ils gardaient en permanence leur coquille

- Est-ce qu’il leur arrive d’oublier leur coquille aux WC, grand-père ?

- Oui, malheureusement, l’escargot est étourdi de nature. D’ailleurs l’invention des ouatères a vu naître la limace, escargot étourdi qui oublie sa coquille au porte-coquille, derrière la porte des WC, comme dans les gares.


La pelote continue de tourner dans les mains longues et fines du grand-père, un feu scintillant, une boule de lumière. La bouche de la petite fille laide s’ouvre et se ferme, toujours. Parfois un son sort, une question fuse.

- Et ces tours Eiffel, éparpillées dans les champs grand-père, c’est quoi, et tous ces fils tirés entre elles ?

- Ce sont les fils à linge des géants, ces malotrus dénaturent sans scrupule notre paysage pour pouvoir faire sécher leur caleçon de géant à la lueur de la lune, du linge blanc et immense étendu dans la nuit, comme des suaires immobiles, funèbres. Mais ils sont trop grands et trop obtus pour que l’on obtienne quoique ce soit d’eux ! Alors nous subissons leur tyrannie de buanderie.


Le fil ne cesse d’argenter la pelote, qui grandit, grandit tout en restant toujours bien calée, au creux des mains du grand-père. Le fil argenté est toujours aussi abondant sur les avant-bras replets de la petite fille, incandescent. La bouche de la petite fille laide s’ouvre et se ferme, toujours. Parfois un son sort, une question fuse.

- Et la guerre grand-père, pourquoi les hommes font-ils la guerre ?

- Pour les boutons de culotte Mélusine, juste pour obtenir le plus de boutons de culotte possible.

- Ah, évidemment, c’est une bonne raison

- Les hommes restent des enfants toute leur vie…

- Et les escargots grand-père, ils font la guerre aussi ?

- Non Mélusine, ils n’ont pas besoin, ils n’ont pas de boutons à leur culotte…

Le grand-père pose ses beaux yeux de saphir sur le visage laid de sa petite-fille. La laine argentée est toujours aussi abondante sur les avant-bras, la pelote grossit toujours et pourtant paraît toujours tenir au creux des mains gra-cieuses et ciles du vieil homme. La bouche de la petite fille laide s’ouvre et se ferme, toujours. Parfois un son sort, une question fuse.

- Ben oui… Et la méchanceté, grand-père, c’est quoi la méchanceté ?

- C’est une gentillesse qui a mal tourné…

- Et la haine grand-père, c’est quoi la haine ?

- C’est un amour trop intense, terrible et redoutable qui ronge, qui grignote tout l’intérieur aussi sûrement que si l’on s’était enfermé un rat dans le fondement…

- Oui évidemment, un rat qui grignote…

La pelote emplit bientôt tout le fauteuil du grand-père mais tient toujours au creux de ces mains, bien calée. Comme le grand-père le dos contre le dossier de cuir usé. La laine d’argent boursoufle les avant-bras de la petite fille. Le feu n’en finit pas de jouer les arcs-en-ciel, de chanter, déchirant l’air tranquille dans une complainte lancinante, les flammes toutes mangées sur les bords se tordent en un ballet douloureux. Il fait chaud dans cette pièce improbable. La bouche de la petite fille laide s’ouvre et se ferme, toujours. Parfois un son sort, une question fuse.

- Et la trahison grand-père, c’est quoi la trahison ?

- ça Mélusine, c’est beaucoup plus compliqué. C’est humain donc compliqué. La trahison c’est une confiance mal rangée, une croyance ébranlée, c’est une franchise affranchie, une fraternité ennemie, c’est un crédit débiteur. C’est une montagne majestueuse et confortable qui explose en mille morceaux acérés qui perforent. C’est un soleil rayonnant et chaleureux qui devient brûlant, qui laisse des cautères sanguinolents, des phlogoses purulentes…

- Des flots gozes, grand-père, c’est quoi des flots gozes, c’est dans la mer ?

- Oui, dans une mer de fiel acide aux ondes majestueuses et irradiantes. Des vagues incendiaires, une nappe corrosive, une marée ardente, une flambée moutonneuse, un ressac sournois et blessant, une écume de haine et d’envie. La trahison, Mélusine, c’est con…juste con...

4 commentaires:

  1. la vérité sort de la bouche d'un grand-père qui sait qu'il ne sait rien si ce n'est la souffrance, les trous d'obus dans le cœur ^^

    j'aime beaucoup la chute, le juste mot ^^

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  2. et tellement vrai ! de sombres et inutiles coups de poignards...

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  3. Pourquoi les donner ces coups de poignards ???

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  4. pour répondre à Anonyme, je dirai juste je suis d'accord, pourquoi les donner...

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