Julien,
Voilà des années que nous nous croisons, échangeons un sourire, quelques mots. Parfois un déjeuner rapide, fréquemment d’anodins mails de travail si ennuyeux et impersonnels, alors même que je sens à chacun de vos regards, mon corps s’enflammer. Et là, à l’étroit dans ce petit bureau froid, au milieu des toutes ces personnes bruyantes et sans grâce, je me prends parfois à m’évader dans de folles étreintes. C’est votre parfum je crois, l’effluve entêtante qui flotte derrière vous lorsque vous traversez à grands pas le couloir gris. Non, ce sont vos yeux… Je les sens se poser sur moi, glissant lentement le long de ma nuque, couvrant mes épaules, coulant le long de mon dos. Oui, vos yeux, cher Julien, vos yeux d’un bleu glacier limpide aux ardents rayons. Et puis ce baiser, celui que nous avons effleuré l’autre jour, une pause tendresse entre deux portes ou peut-être une tendresse enfin posée… cette caresse volée laisse en moi un goût d’inachevé…
Aussi, comme une bouteille de naufragée dans cet océan d’indifférence, au milieu des quolibets des collègues, de l’indulgent mépris de nos supérieurs, je dépose ces quelques mots fébrilement griffonnés et file à ce rapport que vous me réclamiez encore ce matin, si gentiment.
Maupassant écrivait que le baiser était une préface, je vous en prie, allons ensemble croquer les autres chapitres de ce roman à quatre mains…
Mathilde